Rémy, le Chauffeur Routier « Journaliste »
Par le hasard des coïncidences, je suis amené à analyser la vocation d’une personne dont je ne connais ni le nom, ni le prénom, ni la formation, ni le métier. Animé par l’objectif de réussir à percer le mystère de la vocation personnelle et ayant besoin de toujours plus de preuves tangibles, cette proposition me motive d’autant plus.
Le questionnaire de la personne m’arrive, entièrement complété, en mode anonyme comme prévu. Les résultats de l’analyse mettent en évidence une vocation de « Journaliste ». Je dois rencontrer, 3 semaines plus tard pour la restitution, cette personne dont je n’ai aucune information et encore moins le métier.
Le jour de la restitution je rencontre Rémy, un homme de 45 ans, dont le métier est chauffeur routier depuis plus de 20 ans. Etant moi-même fils et petit-fils de transporteur routier, la relation est fluide et le lien se crée très vite. Rémy est un chauffeur routier modèle et il en est fier. Pas d’accident, pas d’absentéisme et une probité au travail qui l’honore.
Lorsque je lui annonce que sa vocation personnelle s’apparente à une fonction de journaliste, il est stupéfait et me demande comment j’ai fait pour découvrir cela, en partant du questionnaire qu’il a complété. Mais visiblement, il n’est pas surpris du résultat.
Après 20 minutes d’échanges je présente à Rémy la phrase clé de sa vocation personnelle. Comme avec chaque personne, nous lisons ensemble la phrase clé de sa vocation personnelle en insistant posément sur les verbes d’action :
« GLANER et REUNIR des informations diverses et variées, les RASSEMBLER, les REFORMULER, afin de les RENDRE ACCESSIBLES aux autres ».
Puis tranquillement, tout en étant très attentif à la communication non verbale de Rémy, je le questionne :
« Rémy, qu’est-ce que cette phrase évoque en toi ? »
Contrairement aux réponses classiques, Rémy marque un temps d’arrêt, il me fixe du regard, ses yeux se remplissent de larmes qu’il retient. Il relit la phrase avec une voix chevrotante. Je sens qu’il en a « gros sur la patate », une émotion forte émerge. Il se retient et finit par lâcher : « Cela m’a sauvé la vie… Alors que je croyais être un traitre ! »
Il se lève, me fait signe que tout va bien, ses yeux sont pleins de compassion. Je le sens étrangement en pleine confiance malgré l’ampleur de ses émotions qu’il retient. Subitement, il quitte la salle pour aller lâcher ses émotions dans le couloir. Je ne sais quoi faire, je suis chahuté par cette situation étrange, et en même temps je ressens une profonde confiance dans cet instant.
Au bout d’un moment Rémy revient. Il a le sourire, son visage est mouillé, visiblement il s’est aspergé d’eau.
« C’est fort ton truc » ! me dit-il, en rigolant nerveusement. « Et ça, tu l’as sorti de mon questionnaire, sans rien connaître, ni de moi, ni de mon passé ? »
Il reprend place à côté de moi.
« Je vais te raconter ma vie Gérard. Je suis né à Sarcelle, dans les mauvais quartiers. A 12 ans, je n’avais pas le choix ! Soit, je devenais dealer, soit consommateur, sinon j’étais brulé à la cigarette dans les sous-sols des caves des immeubles. Et tu vois Gérard, malgré moi, malgré ma volonté, je suis devenu l’indic de la pègre ».
Ces yeux reviennent sur la feuille où il relit calmement :
« GLANER et REUNIR des informations diverses et variées, les RASSEMBLER, les REFORMULER, afin de les RENDRE ACCESSIBLES aux autres ».
Ses larmes coulent maintenant librement sur ses joues. Elles tombent sur son dossier avec une forme d’acception très reposante. D’un geste tranquille il essuie la feuille et pousse plusieurs longs soupirs :
« C’est ce que j’ai fait le plus naturellement du monde et cela m’a sauvé la vie ! … »
Il secoue sa tête et ses épaules, comme pour se nettoyer d’un mauvais souvenir.
Silence …. Je suis impressionné par ce que je suis en train de comprendre. Je me questionne. Notre vocation personnelle serait-elle aussi une « Alliée Protectrice », pour peu qu’on la laisse s’exprimer, même dans les pires épreuves de la vie ?
Rémy reprend la parole :
« Cette situation était devenue insupportable pour moi. J’avais honte de moi. A 17 ans, n’ayant aucune formation concrète en poche, et aucune idée de mon avenir professionnel, mon troisième beau père, militaire de carrière, me propose de m’engager pour trois ans dans le « Train » (logistique routière de l’armée).
Il m’a dit : « Tu y passeras tous tes permis poids lourds, et à la sortie, tu iras t’installer en province, très loin de Sarcelle, pour reconstruire ta vie sur de nouvelles bases. C’est ce que j’ai fait ».
Rémy est profondément calme, je le sens soulagé.
Puis il poursuit :
« A la sortie de l’Armée, j’ai directement été recruté en tant que chauffeur routier. C’était bien payé. J’avais une bonne place, mais la route était ennuyeuse. Alors je me suis acheté une première CB pour rester en contact avec les copains. Comme j’adore aussi écouter toutes sortes d’émissions pour apprendre des tas de choses et les transmettre aux copains, ils m’ont peu à peu surnommé « Le journaleu ». Au début, je pensais qu’ils se moquaient de moi. Puis, avec le temps, je m’en suis amusé. J’ai compris que j’avais un talent qu’ils n’avaient pas. Et un jour, pour m’amuser, j’ai demandé au mécano du garage de me graver « LE JOURNALEU » sur une plaque minéralogique que j’ai placé derrière le pare-brise de ma cabine. Cela fait plus de quinze ans déjà ! »
Animé par sa vocation, Rémy était radieux, j’étais ému par ce que je venais de vivre et de comprendre.
« GLANER et REUNIR des informations diverses et variées, les RASSEMBLER, les REFORMULER, afin de les RENDRE ACCESSIBLES aux autres ».
Le verbe se fait chaire ! ….