Louna, la radicalisée « Médiatrice »
Avec mon ami Nicolas, nous réalisons une action pilote « Recherche Action » dans le milieu carcéral, auprès d’un public dont la radicalisation, ou le risque de radicalisation est avéré. Nous avons développé un séminaire baptisé « Rendez-vous avec le meilleur de Soi-même », destiné à un public dont la fin de peine est proche pour plus de 80 % des inscrits. L’objectif est de mesurer l’impact que la révélation de leur vocation personnelle pourrait avoir sur leur réinsertion socioprofessionnelle.
Certaines personnes de mon entourage me reprochent clairement d’avoir accepté une telle mission. Pour les uns je suis fou, car je vais mettre ma vie en danger, pour les autres c’est perdu d’avance car il me sera de fait impossible de changer une personne radicalisée.
Le chercheur humaniste qui est en moi ne peut se laisser détourner par ses propos. Pour moi qui ai rencontré la psychologie positive dans les années 1980, puis expérimenté ses outils pendant près de trente ans, je ne peux qu’accepter et m’engager dans ce type de mission.
Louna, est une jeune femme qui se trouve en cellule d’isolement. Dès notre première rencontre, elle nous annonce sans détour qu’elle fait ce séminaire par simple curiosité. Nous ne devons nous attendre à aucun changement de sa part. Elle connait déjà sa destinée et sa vocation : Rejoindre le paradis en passant par l’épreuve du martyr. Le ton est donné. Néanmoins, elle veut bien s’amuser à faire ce test, car cela l’amuserait beaucoup de voir sa vocation validée par cette étude.
Nous lui proposons l’option d’être « monitorée » par des capteurs de fréquence cardiaque médicaux qui nous permettent de mesurer en temps réel la variabilité de sa fréquence cardiaque et l’état de son Système Nerveux Autonome. Les résultats nous permettront d’étudier comment son système nerveux réagit à la découverte de sa vocation personnelle. Elle trouve cela très intéressant. C’est ok pour elle.
Son volontariat étant manifeste, nous lui expliquons l’ensemble du processus du dispositif, et lui remettons le questionnaire à remplir que nous recevrons complété quelques jours plus tard, par le biais de la Direction du Centre Pénitencier.
A la découverte de sa vocation personnelle :
« AGIR en médiatrice, SAVOIR FAIRE PREUVE de courage et de détermination dans l’adversité, pour pouvoir MENER LE COMBAT nécessaire à la réussite de ses ambitions et entreprises »,
J’imagine très bien comment Louna, par une histoire que je découvrirai lors de notre prochaine rencontre, a très largement survalorisé son besoin de combat, pour une cause qui ne respecte pas ses autres logiques qui composent sa vocation personnelle :
« Agir en médiatrice, afin de libérer les individus de ce qui limite et entrave leur juste droit »
« Approcher l’inconnu avec mesure et pondération, pour pouvoir agir avec lucidité et profondeur, au fur et à mesure où l’on trouve son assise et ses marques »
« Confronter les différents points de vue d’une situation, pour pouvoir acquérir une juste perspective sur les situations présentes, afin de développer son discernement »
« Contenir et porter de nouvelles valeurs et de nouvelles qualités d’être qui viendront remplacer les paradigmes limitants »
« Rechercher l’harmonie, le bonheur partagé et l’accomplissement personnel au travers de ses actions et réalisation »
« Savoir-faire preuve de courage et de détermination dans l’adversité, pour pouvoir mener le combat nécessaire à la réussite de ses ambitions et entreprises »
Toute la question maintenant, est de découvrir la vie de Louna, pour comprendre sans jugement, quels grains de sable l’ont empêchée de s’inscrire dans sa vocation personnelle.
Deux semaines plus tard, nous obtenons un droit de visite. Toute l’équipe est au complet. Une fois la pose de capteurs faite, nous commençons l’entretien. Avant de lui révéler ses résultats, nous invitons Louna à nous parler de son histoire. Elle est libre de partir de l’âge qui lui convient. Quand on lui évoque le cadre de confidentialité de nos entretiens, elle l’esquive aussitôt et nous dit qu’elle est prête à ce que son histoire soit connue de tous. Elle veut que les gens entendent et comprennent ses engagements.
Louna se lance :
« Je suis une fille de la banlieue, mes parents habitaient dans une HLM. J’étais bonne élève. Je me battais pour rester bonne élève. J’avais envie de réussir à l’école où j’avais beaucoup d’amies. Je savais créer des relations harmonieuses et régler les disputes entre gamins. Les conditions de vie familiale étaient dures. Je n’avais pas de bureau pour travailler. Pour faire mes devoirs, je n’avais que le bout de la table de la cuisine. Tous les jours c’était la même histoire. Mes parents s’engueulaient beaucoup. Ils ne se comprenaient pas. Pourtant, dès l’âge de sept / huit ans j’ai toujours cherché à les réconcilier, je voulais qu’ils fassent des efforts pour mieux se comprendre, mieux se respecter. J’allais parler à l’un, puis à l’autre. C’était épuisant à la longue, mais c’était plus fort que moi, je voulais les réconcilier. Je ne comprenais pas qu’ils puissent rester bloquer dans leurs disputes »
« Finalement, quand j’ai eu quatorze ans, un jour mon père n’est plus revenu à la maison, mes parents ont divorcé. Quelques temps après, ma mère s’est mise à étudier le Coran et elle voulait absolument me l’enseigner. Quand j’ai découvert que les trois Grands Prophètes des trois grandes religions avaient le même Dieu, cela a été une révolution dans ma tête. Je n’avais qu’une envie : rencontrer « mes frères et sœurs » des autres religions, leur expliquer ce que je venais d’apprendre pour pouvoir bien vivre ensemble. J’ai été rejetée. Je trouvais tout cela stupide. Comment pouvaient-ils se détester et se faire la guerre entre eux alors que l’on avait le même Dieu.
Je n’avais plus de repères. Alors je me suis amusée à m’habiller de manière provocante (mini-jupe, décolleté grave, maquillage, parfums, etc…).
Puis j’ai été contactée par des garçons qui étudiaient l’Islam. Ils cherchaient à me faire comprendre que ce que je faisais n’était pas bien au regard de Dieu. Je leur ai parlé de mes expériences passées et de ma colère contre ces autres religions qui m’avaient rejetée. Ils m’ont appris que c’était normal. C’était tous des mécréants. C’est pour cela qu’ils se regroupaient pour rassembler des gens qui respectaient vraiment les valeurs de Dieu. Ils m’ont appris beaucoup de choses. Et j’ai compris que c’est eux qui avaient raison. C’est pour cela que je me suis engagée, car je sais que c’est leur combat qui est juste »
Silence dans la cellule…
Nous sommes quatre autour de Louna, plus personne ne parle.
Depuis de longues minutes déjà, j’avais discrètement entrouvert son dossier pour mettre en résonnance son histoire avec l’ensemble de ses motivations intrinsèques et logiques personnelles de fonctionnement optimum. C’était sidérant !
Le temps était venu de restituer les résultats de sa vocation personnelle.
Le moment est solennel pour moi. Comment va-t-elle réagir à ce qui est transcrit dans son dossier et qui correspond à la virgule près à son histoire, mais vécu par un tsunami de parts d’ombres. 90 % des motivations intrinsèques profondes de Louna sont vécues à l’envers de sa vocation personnelle.
Cela se présente toujours ainsi. A chaque fois qu’une personne n’a pas réussi à incarner sa vocation personnelle, alors que tout en elle cherchait à la réaliser, il y a un mécanisme inconscient qui fait que la personne va faire de sa vie l’exact contraire de ce qu’elle était « appelée à faire », de par sa vocation personnelle.
Avant de me lancer dans la restitution de ses résultats, je présente à Louna la cartographie de ma vocation personnelle, pour lui expliquer comment cela fonctionne. Très vite elle reconnait que tout ce que je fais, tout ce qui se passe entre nous depuis notre premier entretien correspond parfaitement à ce qui est écrit sur la cartographie de ma vocation personnelle.
Soulagé de voir sa compréhension rapide, je lui explique que ce qu’elle va découvrir maintenant c’est son histoire, sa vocation personnelle. C’est ce qu’elle pourrait faire de sa vie si elle était en accord avec le meilleur d’elle-même. Louna va faire preuve d’une incroyable honnêteté intellectuelle.
Devant chacune des logiques, présentées l’une après l’autre, Louna nous dira :
« Oui c’est moi. C’est exactement ce que j’aurai aimé faire de ma vie, mot pour mot, c’est cela que je voulais vivre. Mes avec ces mécréants, c’est impossible. C’est pour cela que je suis radicalisée, car les mécréants n’ont aucun respect pour les valeurs que vous portez en vous. »
De la première à la cinquième logique, sur la cartographie qui en compte 18, Louna garde le même langage. C’est bien elle, c’est bien ce qu’elle voulait et espérait pouvoir vivre, mais maintenant pour elle il est trop tard. Son choix est fait et il est définitif !
Arrive la sixième logique :
« Savoir-faire preuve de courage et de détermination dans l’adversité, pour pouvoir mener le combat nécessaire à la réussite de ses ambitions et entreprises »
A sa lecture, Louna fait un bond en arrière, se cache le visage.
« Non, ce n’est pas vrai ! » dit-elle.
A travers les doigts qui masquent en partie son visage, elle me regarde et me dit :
« C’est elle qui prend toute mon énergie ! Je suis trop accaparée par elle et il n’y a plus de place pour les autres ! C’est ça ???»
Tout le monde autour de la table acquiesce. D’une main maladroite elle recouvre cette logique.
« Je ne veux pas la relire » nous dit-elle … »
Je la masque avec une feuille et poursuis la lecture des autres logiques. Mêmes réponses à chaque fois. Elle se reconnait très bien dans ce qui est décrit. Elle fait maintenant elle-même les liens avec son histoire.
Avec beaucoup de bienveillance, j’émets l’hypothèse que si elle s’engage dans une formation de « Médiatrice », elle a toutes les chances de pouvoir progressivement retrouver le lien avec sa vocation personnelle et d’en faire un métier passionnant pour elle.
Notre échange change de tonalité. Elle s’étonne qu’il puisse exister des formations pour devenir Médiatrice. Je prends le temps de lui expliquer les différentes formes que peut prendre aujourd’hui ce métier. Cela l’intéresse et elle finit même par discerner le type de Médiatrice qui correspond le mieux à ses valeurs. Je ne peux que valider sa sélection et lui promets de lui remettre un livre qui présente l’ensemble des possibilités et des formations qui conduisent au métier de Médiateur. Afin qu’elle puisse se familiariser avec cet univers.
Avant la fin de l’entretien je l’informe que dans le centre pénitencier il y a, une fois par semaine, des ateliers de « Médiation canine ». Aussi, je l’invite à y participer, pour avoir une première expérience de médiation encadrée. En même temps que je lui parle, j’ai conscience que je marche sur des œufs, car je sais très bien que l’Islam radicalisé ne permet pas ce type de relation avec des chiens.
Louna reste incroyablement ouverte et calme. Elle n’écarte pas ma proposition et ne revient à aucun moment sur le sujet de la radicalisation. A la fin de l’entretien nous récupérons les capteurs de fréquence cardiaque, en lui promettant que nous lui montrerons les résultats à la prochaine séance.
On se quitte ravis et enchantés de cet échange.
Moins d’une semaine plus tard, nous sommes recontactés par la Direction du centre pénitencier : « Que se passe-t-il ?
Qu’avez-vous fait avec Louna ? »
Sur le coup j’éprouve une crainte.
« Aurais-je commis une erreur ? »
« Non, pas du tout ! Ce matin Louna a été volontaire pour se rendre à l’atelier « Médiation canine » du centre pénitencier, et elle s’est retrouvée genoux à terre avec le chien qui lui léchait le visage. Cela l’amusait beaucoup, elle souhaite poursuivre cet atelier ! »
La découverte de sa vocation personnelle offre d’incroyables retournements d’histoires.
Comprenne qui pourra ! …